RDC - Adolphe Muzito : "La classe politique n'est pas prête pour les élections"

Adolphe Muzito a été Premier ministre de Kabila fils de 2008 à 2012. Héritier de la pensée de Patrice Lumumba, premier chef de gouvernement du pays alors Congo-Léopoldville, il est membre du Parti lumumbiste unifié (PALU). Ici, en novembre 2008 à l'aéropo

Adolphe Muzito, haut responsable du Parti lumumbiste unifié (Palu) et ancien Premier ministre (2008-2012), sort du bois : il annonce la rupture de l'alliance de ce parti avec le PPRD, le parti du président Kabila. Adolphe Muzito étrille la gestion de ses successeurs et estime que l'État congolais est en faillite. Il pose un regard sombre sur la crise politique actuelle née de la non-tenue dans les délais constitutionnels des élections tant attendues. Le président Joseph Kabila, qui a achevé son second et dernier mandat en décembre 2016, joue les prolongations à la tête de l'État, alors que la Constitution lui interdit d'être candidat à sa propre succession. Le secrétaire permanent adjoint du Palu, qui ne masque pas ses ambitions, n'exclut pas de voir son parti s'allier avec l'UDPS, l'un des poids lourds de l'opposition, en vue des prochaines échéances électorales. L'homme ne retient pas ses coups et s'exprime sans circonvolutions. Sa liberté de ton tranche avec la langue de bois, sinon le mutisme, qui était sa marque de fabrique lorsqu'il était à la tête du gouvernement. Il s'est confié au Point Afrique.

Le Point Afrique : Pourquoi le Palu a-t-il mis un terme à son alliance avec le PPRD, le parti du président Kabila ?

Adolphe Muzito : L'alliance est tombée dans la caducité : le mandat du président Kabila s'est achevé en décembre 2016. Cette alliance était limitée dans le temps. C'était une sorte de contrat à durée déterminée. Nous n'avons pas une vraie tradition de coalition dans ce pays. C'est ainsi que certains pensent, à tort, que même après la fin de l'alliance, on doit toujours être des alliés. Mais non ! Nous avons passé un accord en 2006 et en 2011. Si alliance il y aura encore, ce sera après une évaluation de l'action gouvernementale, des réalisations et des échecs de notre coalition pendant les années qui viennent de s'écouler. Il faudrait, d'autre part, que nous nous mettions d'accord sur le prochain mandat. Le Palu pourrait s'allier avec le PPRD, l'UDPS ou un autre parti capable de gagner avec nous ; mais nous devrions au préalable avoir une même vision.

À quelles conditions seriez-vous prêt à renouveler votre alliance avec le PPRD ?

Le Palu a décidé, à deux reprises, de soutenir Joseph Kabila. Il s'agit, pour le Palu, de mettre en avant son candidat, comme déclaré par le patriarche Antoine Gizenga, le chef historique du parti, en juillet 2011, après la conclusion d'un accord avec ses alliés sur les modalités de coopération. Ce candidat doit envisager une politique autre que celle qui a échoué. Si la gestion des ambitions peut sécuriser les intérêts des uns et des autres, tant mieux. Mais nous n'irons pas dans une alliance où les partis politiques alliés seraient des adversaires sur le terrain.

Le Palu pourra-t-il présenter son propre candidat à la prochaine présidentielle ?

Bien évidemment ! C'est une nécessité. Tout doit faire l'objet de discussions. Quitte à le confronter à un autre candidat partenaire, si coalition il y a. Nous ne sommes pas forcément les meilleurs et notre candidat ne sera pas nécessairement le candidat qui remportera l'adhésion de tous nos partenaires. Mais c'est notre prétention.

Avez-vous des ambitions présidentielles ?

Les ambitions peuvent se développer au fur et à mesure que j'entre en contact avec la population pour un éventuel contrat social. Cela signifie que j'arrive à convaincre le peuple du bien-fondé de mon projet. Cela suppose aussi que j'aide le peuple à avoir une idée claire de ses rêves et à mieux comprendre les enjeux. Notre pays est très en retard. Il est rongé par le chômage, la pauvreté, l'absence d'infrastructures… Tout est à faire. Le Congo n'est pas à développer, mais à construire. Il faut que le peuple le sache.

Fermez-vous la porte à la possibilité de rejoindre le Rassemblement ?

Le Rassemblement ne semble pas encore être une alliance électorale. C'est une alliance pour la conquête du pouvoir pendant la transition, ou pour dire non à Kabila qui voulait, du point de vue du Rassemblement, réviser la Constitution. Le Rassemblement n'est pas une vraie structure politique, mais une structure citoyenne ou mieux un front de contestation qui réclame le respect, par le président Kabila, des textes de la République. Nous serions curieux de connaître son projet politique, le moment venu.

Qu'attendez-vous de la rencontre tripartite Conseil national de suivi de l'accord (CNSA)-Gouvernement-Commission électorale qui planche sur le calendrier électoral ?

Le CNSA n'existe pas en tant que tel. Il n'a pas un texte organique. Ses membres ne sont pas nommés conformément à un quelconque texte qui organise son fonctionnement ; il n'a ni les prérogatives de suivi et de contrôle de l'action gouvernementale ni le pouvoir de sanction. C'est la vacuité. Il est par ailleurs assimilé à une structure d'appui à la démocratie. Le gouvernement actuel n'a pas de pouvoir non plus. Cette équipe n'est pas le produit d'une coalition ou d'un consensus. Son programme vient d'un Parlement hors mandat et sans légitimité. On ne peut rien attendre de cette tripartite.

Comment peut-on organiser des élections crédibles en RDC dans le contexte actuel ?

La crise est politique, sociale et économique, voire sociétale. La résolution de cette crise doit prendre en compte les trois éléments. Nous pourrions déboucher sur les élections, mais l'histoire du Congo nous renseigne sur la manière dont s'opèrent les ruptures.

La classe politique est hypocrite, elle n'est pas prête pour les élections. L'opposition n'a pas d'ancrage populaire partout sur le territoire congolais ; la majorité, pour sa part, a peur parce qu'elle n'a pas un bon bilan. Les principaux partis politiques de l'opposition et de la majorité, tous réunis, ne dépassent pas le seuil de 44 % au Parlement. Les principaux partis de l'opposition ne représentent que 20 % de l'électorat national. Pour ces raisons, le jour où les deux camps se retrouveront ensemble pour se partager le « butin », ils prorogeront encore les délais pour les élections.

La classe politique redoute les élections qui doivent pourtant être au cœur de la vie démocratique. Je crains que dans le contexte de la RDC, les élections à elles seules ne suffisent pas à résoudre la crise multiforme. La Commission électorale ferait du bon travail si elle n'était pas sous l'impulsion politique. Tout le reste dépend de la classe politique.

Le processus électoral semble s'essouffler…

Les dialogues à répétition ne sont pas la solution. Ce pays recourt à des structures informelles à chaque fois que l'équipe aux affaires arrive à la fin de son mandat. Et on sort de la légalité. La classe politique agit en ce sens. Le président Kabila, voyant venir la fin de son mandat, semble dire : « Je ne remets pas le pouvoir au peuple. J'ai besoin d'alliés, de partenaires pour gérer les choses en dehors du cadre légal. »

Nous sommes tous ses alliés, la majorité comme l'opposition. La faute est là. Dans les pays démocratiques, quand il y a un problème, on le règle dans le cadre des institutions établies. Mais chez nous, les choses se passent différemment depuis 1960. D'autre part, la classe politique n'est pas en phase avec le peuple, parce que les partis politiques n'ont pas un socle idéologique. Ils sont faibles, en réalité. Il suffit de voir la configuration du Parlement. Le PPRD, qui conduit la coalition présidentielle, n'a que 65 députés sur 500, soit 12 %. Le premier parti d'opposition, l'UDPS, n'en a que 45, soit 9 %. Mon parti ne pèse que 3 %. Ailleurs, dans des démocraties comme l'Angola ou l'Afrique du Sud, un seul parti occupe plus de 50 % des sièges du Parlement.

Nos formations politiques savent qu'elles ont une faible représentativité et préfèrent gérer le pays à l'exclusion du peuple, en recourant aux combines habituelles.

Vous brossez un tableau négatif des réalités congolaises… En tant que Premier ministre, quelles réformes avez-vous entreprises ?

Nous avons trouvé ce vaste pays, ce mini-continent, avec un budget de moins d'un milliard de dollars en 2006. Au bout de 5 ans, nous avons quadruplé le budget – on est passé à 3,2 milliards. Mais c'est toujours insuffisant, je le concède. Nous avons mobilisé les ressources dans le cadre d'un partenariat avec les Chinois – le FMI nous l'a accordé. Après l'annulation de notre dette, le FMI a estimé que nous pouvions nous endetter jusqu'à concurrence de 6 milliards de dollars, quitte à ce que ce soient des prêts concessionnels. Nous avions considérablement accru les ressources de l'État et les réserves de change. Nous avions trouvé 100 millions de dollars de réserves de change sur les comptes de la Banque centrale du Congo (BCC). Nous sommes passés de 100 millions à 1,6 milliard. Notre gouvernement a fait de nombreuses réalisations, mais nos successeurs n'ont pas continué sur la même lancée. On a engagé les réformes économiques et politiques dans le domaine de la décentralisation que nos successeurs ont abandonnées.

Quel regard portez-vous sur l'action de vos successeurs ?

Le peuple lui-même peut en juger. C'est le gâchis. Ils ont dilapidé tout l'héritage que nous avons laissé au pays. Ils ont « mangé » les réserves de change. Ils ont laissé moins de 700 millions de dollars sur les comptes de la BCC, alors que nous avions laissé plus de 1,6 milliard de dollars à la fin de notre mandat. Ils ont été rattrapés par leur gestion opaque. Le pouvoir d'achat de la population a chuté de 40 % - une baisse de cette ampleur en si peu de temps n'a été enregistrée dans aucun autre pays du monde.

Ils ont voulu faire de l'État un marchand, alors que nous avions pris l'option de le désengager des entreprises publiques et d'ouvrir leur capital au secteur privé pour redynamiser l'économie…

Le gouvernement actuel va terminer l'année 2017 avec un budget de moins de 3 milliards de dollars. N'ayant pas voulu travailler dans la transparence, sous le regard du FMI et de la Banque mondiale, ils ont géré dans l'opacité. À la suite de la chute ponctuelle des cours des produits de base, ils ont vu les recettes publiques diminuer… Ils ont utilisé les réserves accumulées dans la durée, sans stabiliser la monnaie. Ils n'ont pas pu avoir les appuis budgétaires du FMI ou de la Banque mondiale auxquels ils ont fermé la porte, au motif que la RDC allait aliéner sa souveraineté. Résultat, que font-ils ? Ils ne paient pas les salaires des entités territoriales et de 30 % des enseignants du primaire et du secondaire. Il y a des arriérés de salaires et d'émoluments pour les provinces et les ministres provinciaux, les institutions provinciales, etc. Les entreprises publiques ? N'en parlons même pas. Bref, l'État congolais est en faillite.

PROPOS RECUEILLIS PAR 

Source: LePoint Afrique