Togo : un pays au bord du gouffre ?

Des manifestants affrontent les forces de police lors de la manifestation du 19 août dernier à Lomé. (Image d'illustration) © DR

Les images tournent en boucle sur les réseaux sociaux et les télévisions. On y voit de la fumée noire qui s'étend dans les rues de plusieurs quartiers de Sokodé, dans le centre du Togo : des pneus brûlés, des carcasses de voitures incendiées, le siège du Parti national panafricain incendié, des habitations de cadres du parti elles aussi incendiées... la poste, un bâtiment de TogoCell, un bureau de banque... Mêmes scènes, vues à Bafilo et à Tchamba, toujours dans le centre. Et plus tard, c'était au tour de Lomé de s'embraser. Bref, des scènes de chaos, assez rares dans ce petit pays d'Afrique de l'Ouest pour déclencher une avalanche de réactions et de questions. Que s'est-il passé pour que la situation dégénère en une nuit  ? Dans le même temps, les manifestations contre le pouvoir prévues par l'opposition ont été interdites.

La répression s'abat sur Sokodé, fief de Tikpi Atchadam

Le point de départ des violences dans cette nuit de lundi à mardi, c'est l'arrestation de l'imam Djobo Mohamed Alassani de Sokodé pour «  appel au crime et à la sédition  ». Cité par l'AFP, Ouro Akpo Tchaganou, coordinateur de l'Alliance nationale pour le changement, de l'opposition, témoin de la scène, raconte que «  cinq véhicules de la gendarmerie sont arrivés pour enlever Alpha Alassane, un imam très reconnu à Sokodé  ». «  La population s'est sentie visée et est sortie dans les rues  », a-t-il ajouté en soulignant que les échauffourées avaient duré toute la nuit et que «  des femmes et des enfants ont fui la ville  » alors que les militaires «  rentraient dans les maisons  ».

Cet important prédicateur de la région est jugé proche de l'opposant Tikpi Atchadam, arrivé tout nouvellement sur la scène politique togolaise. À 50 ans, ce Togolais originaire de Sokodé a surpris gouvernement et opposition avec un discours radical. Et a su séduire les populations les plus réfractaires au pouvoir des Eyadema. Il a aussi percé le mythe selon lequel il y aurait au Togo un Nord uni, lié à la famille Eyadema, et un Sud acquis à l'opposition. Après s'être allié aux 13 autres partis pour demander une limitation non rétroactive du nombre de mandats présidentiels et la démission du président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, et héritier d'une famille à la tête du Togo depuis 50 ans, Tikpi Atchadam est clairement dans le viseur du pouvoir qui l'accuse depuis ses prises de parole publique d'incitation à «  la haine tribale  ».

État de siège

Ce lundi après l'arrestation de cet imam qui a rejoint le parti PNP, c'est toute la ville de Sokodé qui s'est embrasée. Deux adolescents et deux soldats ont été tués, selon un dernier bilan officiel du gouvernement. La coalition de l'opposition ainsi que des groupes épars de jeunes exigent la «  libération immédiate et inconditionnelle  » de l'imam de Sokodé interpellé lundi soir dans cette ville, indique un communiqué des 14 partis regroupés au sein de cette coalition. La coalition qui parle d'« enlèvement  » dénonce les «  conditions illégales  » de son interpellation et les «  violences exercées sur les populations dans le but avéré d'exacerber la tension politique dans le pays  ». Aussi exige-t-elle la libération immédiate et sans condition de l'imam Djobo Mohamed Alassani et de celle des personnes arrêtées ainsi que la «  cessation immédiate des arrestations et représailles à l'endroit des populations de la ville  ».

Trois jours plus tard, les images qui circulent cette fois sont celles de femmes, d'enfants, de jeunes, qui fuient, parfois bagages en mains ou portés sur la tête. De nombreuses personnes ont déjà quitté leur domicile, comme l'ont fait des milliers de Togolais de Mango, situé à 592 kilomètres de Lomé à la fin septembre, au plus fort des manifestations. Tous ces réfugiés se dirigent vers le Bénin et le Ghana frontaliers du Togo.

Le gouvernement ne fait pas la même lecture des événements. «  L'interpellation de l'imam Djobo Mohamed Alassani fait suite, dans ses prêches, à des appels au meurtre des militaires et de citoyens togolais  », est-il indiqué dans un communiqué publié mardi. Il est donc interpellé pour «  appel au crime et à la sédition, infractions prévues et punies par les articles 552 et 553 du Code pénal  », souligne le communiqué du gouvernement. Dans la publication du bilan final, les autorités mettent indique : «  On dénombre des actes de vandalisme, de pillage, de violence inouïe, ainsi que la destruction de biens privés et publics à Sokodé, à Bafilo, ainsi que dans plusieurs quartiers nord de Lomé.  »

L'opposition veut se relancer

Les responsables des partis politiques de l'opposition, après la visite du siège du Parti national panafricain (PNP), brûlé, ont fait le déplacement du ministère de la Sécurité pour dénoncer les violences survenues lundi à Sokodé et à Lomé. L'objectif de l'opposition  ? Réclamer que ceux qui ont brûlé le siège du PNP soient punis et déférés devant les tribunaux. Mais voilà, le ministre étant absent, les leaders bloqués devant le ministère ont été finalement reçus par un officiel de ce département ministériel.

En outre, ils ont profité de l'occasion pour mettre en garde le ministre contre toute violence sur les populations lors de la marche de mercredi et jeudi à Lomé pour dénoncer la position de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) dans la crise togolaise.

De ces affrontements survenus lundi et mardi, l'opposition pourrait en tirer un avantage non négligeable. En effet, elle s'est faite discrète ces derniers temps, se concertant pour savoir la marche à suivre. Et aussi divisée en son sein, selon plusieurs sources. Une partie voudrait aller plus loin et plus vite, c'est-à-dire obtenir gain de cause de manière plus radicale, en poussant le président Faure Gnassingbé au départ coûte que coûte. Et l'autre partie voudrait trouver une nouvelle manière d'obtenir ce même résultat, mais peut-être en dialoguant  ? Alors qu'elle organise des manifestations mercredi 18 et jeudi 19 octobre, l'opposition pourrait retrouver un second souffle, et pourquoi pas reprendre la main, alors que la présidence semble avoir un temps imposer son tempo avec sa volonté manifeste d'aller au référendum avec l'appui d'organisation comme le Cedeao et l'OIF.

PAR LE POINT AFRIQUE