RD Congo : va-t-on vers un nouveau dialogue ?

Un moment important de la vie politique congolaise que ce 1er janvier 2017 où la CENCO annonce l'accord issu du Dialogue national. © JUNIOR D.KANNAH / AFP

Les médias congolais ont révélé l'existence d'une série de contacts préliminaires entre les différents camps pour préparer des pourparlers censés baliser la voie qui doit mener la RDC aux scrutins tant attendus. Deux « dialogues » ont eu lieu, sans pour autant résoudre les problèmes de fond : la légitimité des institutions et la tenue des élections. Le pouvoir et l'opposition se renvoient la responsabilité de cette impasse.

Un troisième dialogue entre deux eaux

La réaction du camp de Moïse Katumbi, ancien gouverneur de la province minière du Katanga et candidat déclaré à l'élection présidentielle, n'a pas tardé. Olivier Kamitatu, le porte-parole de ce riche homme d'affaires qui vit aujourd'hui en exil en Europe, a marqué sa nette opposition. « Ce dialogue serait totalement inutile, une perte de temps. Cela serait une manipulation pour avaliser la trahison de Joseph Kabila. Si la communauté internationale continue à le cajoler, finalement, aucun chef d'État africain ne fera plus d'élections, parce qu'on considérera que c'est une coquetterie occidentale inutile », explique Olivier Kamitatu.

La majorité présidentielle, de son côté, se veut sereine. Cette coalition disparate, constituée de partis et d'organisations qui apportent leur soutien sans faille à Joseph Kabila, estime que le processus électoral suit son cours normal. « Aucune disposition de l'accord du 31 décembre ne prévoit ce dialogue », affirme Alain Atundu, le porte-parole de la majorité présidentielle. Les analystes savent toutefois que les déclarations des uns et des autres sont à prendre avec circonspection, car traditionnellement ils n'assument pas ouvertement les rencontres secrètes entre « frères ennemis ».

Transition sans Kabila ?

Réunis à New York, où se tient l'Assemblée générale de l'ONU, des dirigeants de l'opposition, notamment Moïse Katumbi et Felix Tshisekedi, ainsi que des responsables de mouvements citoyens ont carrément appelé à la mise en place d'une transition sans Joseph Kabila, devenu, à leurs yeux, « illégal et illégitime » et accusé du « non-respect de la Constitution et de l'accord du 31 décembre 2016 ». Pour eux, cette transition serait dirigée par « des personnalités éminentes consensuelles chargées de préparer les élections démocratiques, libres, transparentes et paisibles qui ne sont pas possibles, ni avec M. Kabila, ni avec la Commission électorale dans sa configuration actuelle ». Alain Atundu ne les entend pas de cette oreille et rejette toute hypothèse d'une transition excluant Joseph Kabila. « Ces gens (ceux qui appellent à une transition) ne sont pas dans la logique de l'accord su 31 décembre. Tout est prévu. Le processus électoral continue, notamment par la fin imminente de l'enrôlement qui sera suivie par l'adoption de toutes les lois organiques en vue d'encadrer les élections et d'aboutir à un calendrier électoral pour permettre à l'ensemble de la nation d'aller aux élections », souligne-t-il.

Un dialogue sans les hommes d'église

Le premier dialogue, conduit sous l'égide de l'ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo, a débouché sur la signature d'un accord en octobre 2016. Un compromis rejeté par une grande partie de l'opposition qui s'est sentie exclue des discussions. Le relais de la « facilitation » a été ensuite pris par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). L'implication des évêques catholiques, dans un pays où les prélats jouissent d'un a priori favorable, a donné lieu à la signature d'un deuxième accord dit de la Saint-Sylvestre, le 31 décembre. Cet accord, qui se démarque du premier, insiste sur la non-candidature de Joseph Kabila à sa propre succession, son maintien à la tête de l'État jusqu'à la tenue, au plus tard en décembre 2017, de l'élection présidentielle et la mise en place d'un nouveau gouvernement dirigé par un Premier ministre issu du Rassemblement, la principale coalition de partis d'opposition et d'organisations de la société civile.

Toutefois, si le troisième dialogue, qui semble se profiler à l'horizon, se concrétise, il est peu probable que les évêques s'impliquent à nouveau. « La CENCO n'a jamais été contactée pour un troisième dialogue. De toute façon, jusque-là, les évêques n'ont pas encore statué sur cette éventualité », révèle l'abbé Donatien Nshole, le porte-parole de la CENCO. Les évêques n'ont pas apprécié les atermoiements des signataires au moment de passer à l'application de l'accord. La CENCO juge que les acteurs politiques ne respectent pas les engagements qu'ils ont pris lors de la finalisation de ce texte signé in extremis, alors que les évêques menaçaient de tout laisser tomber. Le camp présidentiel avait même accusé la CENCO d'avoir pris fait et cause pour le camp d'en face. Jusqu'ici, les esprits ne se sont pas calmés, malgré les nombreux appels à la raison lancés notamment par des organisations de la société civile et la mission des Nations unies en RDC.

Des écueils à prendre en compte

La nomination au poste de Premier ministre, en mars 2017, de Bruno Tshibala, préalablement exclu des rangs de l'opposition, est contestée par le Rassemblement qui accuse le président de saborder l'accord. La coalition de l'opposition affirme que l'initiative présidentielle viole la lettre et l'esprit de ce texte conclu laborieusement après plusieurs jours de discussions infructueuses. La désignation de Joseph Olenghankoy à la tête du Conseil national de suivi de l'accord (CNSA) a également été perçue comme une « trahison » par le Rassemblement. La vive controverse qui en a dérivé n'est pas encore éteinte. L'aile la plus exigeante du Rassemblement assure que Joseph Olengankhoy, vieil opposant et ancien ministre, contribue au torpillage de l'accord.

Entre report et financement des élections, la crise persiste

Plusieurs analystes s'accordent sur un point : cette crise politique persistante ne pourra être résolue que par la tenue d'élections libres, démocratiques et transparentes. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les pressions internes et externes exercées sur la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour qu'elle publie un calendrier électoral crédible. Corneille Naanga, le président de la CENI, a indiqué que les électeurs congolais ne se rendraient pas aux urnes en décembre 2017, sans fixer une date pour la tenue des élections. La CENI est en concertation avec le gouvernement et le CNSA, deux organes étroitement associés aux mécanismes d'évaluation du processus électoral. Officiellement, c'est à l'issue de cette évaluation qu'une nouvelle date sera avancée.

D'ordinaire discret sur ce dossier, Bruno Tshibala a, pour sa part, annoncé qu'un « calendrier réaliste » serait publié dans les prochains jours. Corneille Naanga attribue essentiellement les reports successifs au manque de financement. La CENI évalue à 1 milliard 300 millions de dollars le coût de toutes ces élections - dont 400 millions pour l'identification et l'inscription des votants sur les listes électorales. Une enveloppe qui pèse dans un contexte de crise économique en RDC.

La majorité présidentielle se montre optimiste cette fois-ci, estimant que la question du financement ne devrait plus se poser. « Pour l'enrôlement (des électeurs), la CENI n'a pas été à court de moyens, grâce à la mise à disposition sans faille des fonds nécessaires à chaque échéance en vue du bon déroulement de l'opération. Nous avons une présomption de bonne foi », souligne Alain Atundu. Malgré tout, une inconnue de taille subsiste : le nom de la personne qui briguera la présidence sous la bannière de la majorité présidentielle. Cette situation semble donner crédit aux manœuvres prêtées à Joseph Kabila pour s'agripper le plus longtemps possible au pouvoir. Alain Atundu balaie d'un revers de main ce faisceau de soupçons et laisse entendre que son camp réfléchit à la désignation de son candidat, une question « hautement stratégique ». « C'est une question interne. La loi fait obligation de se dévoiler au plus tard 90 jours avant le coup d'envoi de la campagne électorale. Si 90 jours avant la campagne, nous n'avons pas désigné un candidat, cela signifie que la majorité n'est pas en mesure, même légalement, d'avoir un candidat. Pour l'instant, le plus important pour M. Kabila, c'est d'encadrer l'organisation des élections et d'avoir un bilan à présenter à la fin de son mandat », martèle le porte-parole de la majorité présidentielle. « La majorité présidentielle ne lambine pas. Elle a mis en place une centrale de coordination électorale et s'est engagée dans la campagne d'enrôlement. Ce sont les autres, particulièrement le G7 (frange de l'opposition qui soutient Moïse Katumbi) et la branche radicalisée du Rassemblement, qui lambinent. Ils ne font aucune campagne en faveur de l'enrôlement et ne se préparent même pas aux élections, mais ils se préparent à en contester les résultats », ajoute-t-il.

Crise, une constante historique 

Depuis son accession à l'indépendance, le 30 juin 1960, le pays connaît des crises à répétition qui se résolvent généralement par la négociation. Une constante de la tumultueuse vie politique du pays. Le temps des discussions, les acteurs politiques mettent entre parenthèses leur acrimonie, se retrouvent autour de la table, se disent disposés à parvenir à une issue négociée et chantent une ode à la mère patrie qu'ils prétendent vouloir sauver. Reste que bien souvent, ils campent sur leurs positions pendant plusieurs jours avant d'accepter de faire quelques concessions mineures et d'accoucher d'un texte suffisamment flou pour contenter (presque) tous les délégués. Le diable étant dans les détails, l'accord ainsi signé peut donner lieu à des interprétations diamétralement opposées. Ainsi des signataires qui s'empoignent au moment de sa mise en œuvre appellent à un nouveau… dialogue.

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Source:Le Point Afrique